Accueil A la une Réseaux d’envoi des Tunisiens dans les zones de conflit : Le rouleau compresseur de la Justice

Réseaux d’envoi des Tunisiens dans les zones de conflit : Le rouleau compresseur de la Justice

A trop jouer avec le feu, on finit par se brûler. Après les années de braise marquées par l’hydre du terrorisme et l’essaimage des filières jihadistes, l’augmentation du nombre des  candidats  aux combats dans les zones de conflit, notamment en Syrie, grâce aux  réseaux d’embrigadement vers ce pays, le temps est venu pour certains protagonistes, qui se sont longtemps réfugiés sous le parapluie protecteur de l’Etat profond, de rendre des comptes.

Le rouleau compresseur de la Justice n’épargnant plus personne  depuis le coup de force du 25 juillet 2021, nul n’est aujourd’hui, au-dessus de la loi, comme en témoigne la mise en garde à vue, lundi 12 septembre de plusieurs anciens hauts cadres sécuritaires — révoqués du ministère de l’Intérieur — d’anciens députés, dont l’homme d’affaires et ancien député du parti Ennahdha Mohamed Frikha, sur décision du parquet auprès du Pôle judiciaire antiterroriste pour suspicion d’implication dans les réseaux d’envoi de jeunes Tunisiens vers les foyers de tension.

Plus d’une centaine d’accusés arrêtés

Parmi les accusés, figurent l’ancien député de la Coalition Al Karama, Mohamed Affès, l’ancien conseiller sécuritaire et membre du parti Ennahdha du temps du ministre de l’Intérieur Ali Laârayedh, Fethi Baldi, deux anciens responsables de la sécurité à l’aéroport Tunis-Carthage, à savoir Fethi Bouasida  et Abdelkarim Laâbidi. D’autres anciens parlementaires seront entendus dans le cadre de la même affaire, dont l’ancien ministre des Affaires religieuses, Noureddine El-Khademi.

A l’origine de l’affaire en cours, une plainte déposée au début de l’année 2021 auprès du tribunal militaire (renvoyée après au tribunal de première instance) par l’ancienne députée  de Nida Tounes, Fatma Mseddi qui, tout le monde s’en souvient, a fini par jeter l’éponge et a démissionné en janvier 2019 de la Commission d’enquête parlementaire sur les réseaux d’endoctrinement des jeunes et leur envoi dans les zones de conflit en raison des pressions et tentatives visant à enterrer des données d’une extrême importance relatives  à l’implication de certaines parties au pouvoir dans cette affaire.

Tenant tête au parti Ennahdha dans le cadre des travaux de la commission en question et multipliant les déclarations accusatrices contre les dirigeants nahdhaouis, une plainte a été déposée à son encontre par ce parti, mais l’ancienne députée a été acquittée par le tribunal de première instance de Tunis après avoir été condamnée par contumace  à une amende de 500 dinars. Dans l’une de ses déclarations médiatiques, la députée affirme, lors de son audition en février de l’année en cours  par le tribunal de première instance, qu’elle a déposé auprès de l’autorité judiciaire un dossier appuyé par des documents attestant la véracité de ses accusations à l’encontre de certains dirigeants du parti Ennahdha dans le cadre des réseaux d’envoi des Tunisiens dans les zones de conflit, dont l’ancien ministre Noureddine Bhiri, selon ses dires. L’ancien dirigeant du mouvement Ennahdha, Habib Ellouze, a été lui aussi arrêté hier, à son domicile à Sfax par l’unité antiterroriste d’El Gorjani. Idem, pour Lotfi Sghaïer, Directeur général des frontières et des étrangers (DGFE). La liste des personnes en garde à vue risque de s’allonger au fur et à mesure que l’enquête progresse.

Quel rôle pour l’ancien patron de Syphax Airlines ?

La question est sur toutes les langues.

La présentation aux élections législatives, puis à la présidentielle au nom du parti Ennahaha accusé de tous les maux durant son règne chaotique post-révolution, ne pourrait en aucun cas constituer un motif sérieux et mener à la garde à vue de la personne concernée.

Frikha serait-il poursuivi  pour avoir été propriétaire d’une compagnie aérienne créée contre toute attente en 2011 et qui a cumulé les dettes au point quelle a suspendu ses activités en 2015 après des embrouilles financières avec la BNA, soit une année après la retentissante défaite du parti Ennahdha ?

Serait-il poursuivi pour avoir mis à disposition du président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, le jet privé qu’il a acheté (Falcon 900 de Sakhr El-Materi ) en 2016, lors de sa visite en Turquie ? Serait-il réellement impliqué dans ce réseau qui n’a toujours pas livré tous ses secrets suite à l’organisation par sa compagnie de plusieurs voyages vers la Turquie de 2011 à 2013 pour faciliter le déplacement des Tunisiens depuis ce pays vers la Syrie en raison des relations diplomatiques rompues entre la Tunisie et ce pays sur ordre de Moncef Marzouki, élu président provisoire par  la bénédiction d’Ennahdha ?

A titre de rappel, la rupture des relations qui s’est faite juste après la révolution et au moment où le pays était gouverné par une classe politique dilettante, a été d’un grand secours pour certains députés et des hommes d’affaires, dont quelques-uns sont actuellement sous les verrous. Il fallait coûte que coûte faire tomber le régime de Bachar El Assad avec l’aide de certains pays du Golfe qui n’ont pas hésité à prêter main-forte, par tous les moyens, à cette classe politique désavouée par son peuple.  La grande majorité des dirigeants de la Troïka prenaient plaisir à mettre la main à la pâte et ne se souciaient guère des incidences dramatiques, à court et moyen terme, sur le pays.

L’impact sur le plan sécuritaire  n’était plus à démontrer, avec le retour précipité en Tunisie du chef du bureau des questions sécuritaires. Plus aucune information ne filtrait autour de la présence des jeunes et moins jeunes jihadistes tunisiens des deux sexes. Ce fut le black-out total (et l’omertà) autour des opérations de déportation de la Tunisie vers la Turquie des candidats au jihad, puis l’acheminement vers la Syrie .

Plus la Troïka se targuait de grandes avancées en matière des droits humains, plus les groupes terroristes gagnaient du terrain dans le pays et  faisaient des victimes au sein des deux appareils sécuritaire et militaire.

Un autre son de cloche ?

Quel rôle donc pour Syphax Airlines et son ancien P.-d.g. dans cette obscure affaire alors? A cette question, l’un des hauts cadres sécuritaires a émis de forts doutes quant à l’implication de ce dernier dans le réseau d’envoi des Tunisiens dans les zones de tension.  Selon lui, l’accès aux  aéroports  est régi par des lois préétablies que les unités sécuritaires et douanières sont tenues de respecter. Les agents de la police et des frontières ne font qu’appliquer la loi dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions.

Notre source ajoute que les personnes qui doivent être poursuivies en justice, ce sont ces prédicateurs et ces imams qui ont durant la période de la Troïka mis la main sur les mosquées et ont prôné un discours radical, incitant les fidèles à opter pour le jihad en Syrie. Une explication qui ne  convainc pas plusieurs observateurs, notamment depuis la diffusion d’un  reportage en août 2017  par la chaîne Al Arabiya dans lequel la compagnie Syphax Airlines est pointée du doigt dans l’organisation de plus d’une centaine de vols à partir de l’aéroport international de Sfax-Thyna vers la Turquie.

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